Sauver l’or de la Suisse, à quel prix?

• 17 novembre 2014

L’initiative populaire « Sauvez l’or de la Suisse », qui sera soumise au peuple le 30 novembre prochain, souhaite interdire à la Banque nationale suisse de vendre son or et imposer un niveau de réserves plus élevé. Tous les experts s’accordent sur le sujet et prônent le rejet de l’initiative, mais cette dernière jouit d’une certaine popularité auprès des Suisses. Quels sont les enjeux derrière les exigences de cette initiative? Quel rôle joue la BNS et quelles seraient les conséquences si l’initiative était acceptée?

Remontons dans le temps…

D’où vient le lien entre l’or et la monnaie ? Quand les billets de banques n’existaient pas encore, les échanges s’effectuaient à l’époque à l’aide de métaux transformés en monnaie: des pièces, des lingots, des bijoux en or, en argent, en bronze. L’apparition des premiers « billets de banque » s’est produite le jour où les orfèvres se sont transformés en banquiers. Quiconque déposait son or dans leurs boutiques recevait en contrepartie un certificat de dépôt lui permettant en tout temps de récupérer son métal jaune. Petit à petit, une réelle confiance leur étant accordée, ces certificats étaient utilisés comme moyen d’échange et constituaient alors les prémices des billets de banque. Mon billet en poche, je pouvais ainsi me rendre chez mon orfèvre et lui demander de me délivrer la quantité d’or inscrite sur mon billet.

Cette image décrit intuitivement la façon dont fonctionne le système étalon-or. Toute émission de monnaie doit se faire avec une contrepartie en or. C’était le cas jusqu’à la première guerre mondiale pour la plupart des monnaies en circulation. Elles pouvaient être échangées contre une quantité d’or prédéfinie. Après la deuxième guerre mondiale, et ce jusqu’aux années 70, les accords de Bretton Woods ont rendu le dollar américain convertible en une quantité d’or fixe, les autres devises étant adossées, de manière plus ou moins étroite, au dollar. De nos jours, un tel système n’est plus en vigueur en Suisse. Notre banque centrale peut en effet créer autant de monnaie qu’elle le souhaite, indépendamment de ses réserves d’or. Elle dispose ainsi, librement et pleinement, de tous ses instruments de politique monétaire de manière indépendante lui permettant de garantir au mieux la stabilité des prix.

Les enjeux de l’initiative

L’initiative sur l’or désire imposer à la BNS la détention de réserves d’or équivalentes au minimum à 20% du total de son bilan, lui interdire de vendre cet or et l’obliger à le stocker sur le territoire suisse.

La BNS détient actuellement 7,5% de ses actifs en or. Cette part a été supérieure au seuil demandé par l’initiative par le passé. Elle n’est pas statique, mais varie au gré de la politique monétaire de la BNS. La baisse de cette valeur ces dernières années s’explique par le fait que le bilan de la BNS s’est fortement accru, passant de moins de 200 milliards de francs suisses en 2008 à plus de 500 milliards actuellement, en raison notamment de la politique monétaire expansive de la BNS et de la défense du cours plancher 1,20 CHF/EUR.  

Or

L’initiative laisse à la BNS un délai de cinq ans pour hausser cette part à 20%. Elle a deux options pour le faire: réduire la taille de son bilan ou acheter plus de 60 milliards de francs d’or sur les marchés. Bank of America a estimé que le cours de l’or pourrait s’apprécier de 18% si la deuxième option devait être appliquée. Pour ceux qui osent penser que l’initiative a des chances de passer, n’hésitez pas, achetez de l’or !

Une quantité d’or temporairement élevée dans le bilan de la BNS n’est pas une mauvaise chose en soi, c’est l’impossibilité de disposer de cet or en temps voulu qui pose problème. En effet, l’initiative en exige l’inaliénabilité, c’est-à-dire l’obligation de conserver tout l’or acquis sans pouvoir le revendre. En cas de besoin, il sera impossible d’utiliser cet actif en le revendant sur les marchés. Lors d’une expansion monétaire temporaire, la BNS se verrait obligée d’acheter de l’or, mais sans avoir la possibilité de le revendre par la suite. Dans le cas extrême, souligne Jean-Pierre Danthine, vice-président de la Direction générale de la BNS, l’institut ne détiendrait plus que de l’or, un actif volatil ne versant ni dividendes ni intérêts.

Le troisième point de l’initiative concerne le lieu de stockage des réserves d’or et exige que chaque lingot soit conservé en Suisse. Actuellement, la BNS affirme que 70% de son or se trouve sur le territoire suisse, 20% dans les coffres de la Banque d’Angleterre et 10% dans ceux de la Banque du Canada. Alors que les initiants craignent de ne plus jamais revoir cet or, les experts estiment qu’il s’agit d’une simple diversification géographique car l’accès à plusieurs places de négoce offre des conditions plus favorables pour effectuer des transactions, selon eux.

Les rôles de la BNS

La Banque nationale suisse a reçu de la part du législateur le mandat d’assurer la stabilité des prix en tenant compte de la conjoncture. Pour remplir cette mission, elle est dotée d’un panel d’outils de politique monétaire lui permettant d’influencer diverses variables macroéconomiques.

L’inflation en Suisse s’est maintenue à un niveau relativement stable depuis des années. Alors qu’une inflation de moins de 2% est en général la cible, sa valeur moyenne est inférieure à 1% depuis 1999. De plus, le spectre de la déflation ne semble pas susciter d’inquiétudes en Suisse, ce qui n’est pas le cas chez nos voisins européens. Inflation

La Banque nationale suisse est capable de contenir l’inflation en raison de son indépendance et de sa crédibilité. Elle est autonome et peut ainsi prendre des décisions conformes à ses objectifs sans aucune contrainte extérieure. Sa crédibilité, gagnée sur de longues années, fait que les divers acteurs ne remettent pas en cause sa capacité à mettre en œuvre ce qu’elle annonce. Cet aspect est fondamental pour une banque centrale. Rappelons que lors de l’annonce du cours plancher 1.20CHF/EUR en septembre 2011, la BNS n’a, dans l’immédiat, pas eu besoin d’acheter le moindre centime d’euro, car les marchés la savaient capable d’agir rapidement et de manière efficace.

Dès lors, si la Banque nationale était contrainte de conserver 20% des ses actifs sous forme d’or, de plus inaliénable, sa capacité à agir rapidement de manière optimale se verrait affectée. Elle ne pourrait plus prendre de décisions avec la même détermination qu’aujourd’hui. La crédibilité de la politique monétaire de la BNS serait affaiblie et elle se verrait fortement contrainte dans l’accomplissement de son rôle de garant de la stabilité des prix.

L’or du peuple

Il est souvent fait mention de « l’or du peuple », laissant entendre que les réserves d’or de la BNS appartiennent aux citoyens suisses. Or, ce n’est pas le cas, du moins pas directement. La Banque nationale suisse est détenue en majorité par les cantons, c’est donc par leur intermédiaire que cet or appartient au peuple.

Notons également que, chaque année, le bénéfice de l’institution est versé pour un tiers à la Confédération et pour deux tiers aux cantons. L’objectif de la BNS n’étant pas de maximiser son profit, ce montant varie en fonction de la composition des actifs de l’institution. L’or ne distribue ni dividende, ni intérêt. La somme pouvant être versée à la Confédération et aux cantons se verrait fortement réduite si la BNS détenait une part très importante d’or dans ses actifs, ce qui explique en partie le rejet de l’initiative par la Conférence des directeurs cantonaux des finances.

Un écho non négligeable

A la lumière de ces faits, il semble compliqué et irrationnel de soutenir les exigences de cette initiative, mal formulée selon certains, absurde pour d’autres. Cependant, nous ne pouvons pas négliger l’attrait qu’elle suscite auprès du peuple suisse. Fin octobre, un sondage de l’institut gfs.bern estimait que 44% des sondés étaient favorables à l’initiative. Une raison avancée par certains serait une ignorance des mécanismes économiques en question, d’autres mettent en évidence le caractère émotif suscité par cette initiative dans l’inconscient collectif des suisses.

Un des rôles des économistes est de vulgariser la science économique de manière à la rendre compréhensible par le plus grand nombre. Cependant, l’apparente popularité de cette initiative montre qu’il existe encore malheureusement un vide entre les économistes et le grand public.

Texte de l’initiative

I. La Constitution est modifiée comme suit: Art. 99a (nouveau) Réserves d’or de la Banque nationale suisse

  1. Les réserves d’or de la Banque nationale suisse sont inaliénables.
  2. Elles doivent être stockées en Suisse.
  3. La Banque nationale suisse doit détenir une part importante de ses actifs en or. La part de l’or ne doit pas être inférieure à 20 %.

II. Les dispositions transitoires de la Constitution sont modifiées comme suit: Art. 197, ch. 9 (nouveau) 9. Disposition transitoire ad art. 99a (Réserves d’or de la Banque nationale suisse)

  1. L’al. 2 doit être mis en œuvre dans un délai transitoire de deux ans à compter de l’acceptation de l’art. 99a par le peuple et les cantons.
  2. L’al. 3 doit être mis en œuvre dans un délai transitoire de cinq ans à compter de l’acceptation de l’art. 99a par le peuple et les cantons.

Frédéric Martenet

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