C’est d’un anglais aux tonalités latinos que Kenneth Funes nous accueille dans les bureaux de l’institut de recherche Idiap à Martigny. Ce postdoctorant costaricain est le cofondateur de la start-up Eyeware et travaille depuis des années sur les interactions entre l’homme et les machines.
Aujourd’hui, avec trois collaborateurs, Carlos Becker, Serban Mogos et Jean-Marc Odobez, il finalise le développement d’un logiciel permettant aux personnes n’ayant plus l’usage de leur bras de piloter un ordinateur grâce aux seuls mouvements de leur visage et de leur tête.
Pour appliquer ses recherches, la start-up mène son projet en collaboration avec la Clinique Romande de Réadaptation (CRR). Une société est en cours de création pour commercialiser le logiciel dans les mois à venir. Explications.
Eyeware, la souris virtuelle
Kenneth Funes s’installe devant son ordinateur. La petite caméra fixée sur le haut de son écran détecte les trois dimensions de sa tête et les mouvements de son visage. Tout en nous parlant pour détailler les fonctions de son logiciel, il mène une démonstration sans que le curseur ne s’emballe. Pour dérouler une page vers le bas, il tourne sa tête à droite. La petite flèche sur l’écran suit ensuite les mouvements de sa tête, s’arrête sur un point et là Kenneth fait une drôle de moue. Qu’est-ce donc ce bisou qu’il envoie à son écran d’ordinateur? Rien d’autre qu’un clic, lui permettant ainsi de poursuivre sa navigation sans utiliser ses mains.
« Chaque personne peut personnaliser le logiciel avec les mouvements qu’il désire, comme lever les sourcils pour faire un clic droit ou hocher la tête pour scroller une page », poursuit-t-il. « L’important pour notre start-up est que la personne soit le plus autonome possible dans l’utilisation d’un ordinateur. D’autres systèmes existaient déjà, mais il fallait commencer par placer un tracker sur le front de l’utilisateur, ce qui d’entrée réduit son autonomie. Aussi, certains programmes exigeaient des mouvements inconfortables de la tête… »
Patrick Antonin, chef du service Informatique de la CRR, a testé Eyeware avec un patient de l’établissement.
« La précision du système fait toute la différence pour les personnes à mobilité réduite, qui ne doivent pas faire des mouvements exagérés. Ce jeune patient l’a utilisé pour faire ses cours sur son ordinateur et surfer sur Internet. Dans ce domaine, Eyeware lui a redonné une précieuse autonomie! »
Un logiciel abordable et performant
Lorsque Kenneth Funes a démarré son doctorat à l’Idiap, les systèmes d’eyetracking commerciaux coûtaient entre 10’000 et 20’000 euros, nécessitant des caméras spéciales. Hors de prix donc pour le consommateur lambda. Les intentions d’Eyeware pour les années à venir sont donc d’implanter leur système propre d’eyetracking sur ce produit et sur d’autres applications pour ensuite les mettre à disposition des consommateurs.
« D’ici deux à trois ans, tous les ordinateurs portables seront munis de caméra 3D et le logiciel (qui coûtera plusieurs centaines de francs) sera ainsi à la portée de tout le monde », se réjouit le chercheur. « Notre but est d’améliorer la qualité de vie des gens avec un système performant et abordable. »
La souris virtuelle d’Eyeware a d’ailleurs déjà reçu plusieurs distinctions du monde de la recherche. L’an dernier, la start-up a remporté le premier Arkathon Hacking Health Valais, puis l’International Create Challenge, ainsi que le Prix de la Fondation Liechti d’un montant de 50’000 francs visant à financer la première version de leur produit.
Et la Suisse dans tout ça ?
Kenneth Funes a quitté sa « Suisse d’Amérique centrale » pour Lausanne où il vit actuellement. Il y a mené son doctorat entre l’EPFL et l’Idiap de Martigny.
« Grâce à cet institut de recherche et à la Fondation The Ark, nous bénéficions de nombreux soutiens pour développer le produit, fonder une société et ensuite le lancer sur le marché. Le canton fournit une grande aide pour passer de la recherche à la commercialisation, c’est très intéressant. »
Et Kenneth ne semble aujourd’hui pas pressé de retraverser le Pacifique. « J’aimerais rester en Suisse pour voir l’évolution de nos efforts, parce que je crois vraiment que ça va décoller. »
Sophie Dorsaz
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