Jonis Neuhaus, étudiant à l’ETH Zurich, dresse ses rats pour faire du fromage

• 1 avril 2015

Le lactose : ennemis des intolérant-e-s fromagivores

D’après l’Office fédérale de la Santé, de plus en plus de Suisse-ss-es souffrent aujourd’hui d’une intolérance au lactose. Quoi de pire que devoir renoncer au plateau de fromage quand on vit au pays de la raclette et de la fondue ? Quoi de plus frustrant quand on a été biberonné au Gruyère ?

Heureusement, Jonis Neuhaus a trouvé la parade pour assouvir les pulsions fromagivores de ceux/celles qui ne supportent plus le lactose : un fromage sans lactose pardi ! Développé dans les laboratoires de l’ETH à Zurich, le “Milchrattkäse“ est le fruit d’une petite révolution dans le domaine de la technologie alimentaire. Il s’agit en effet d’un fromage produit à partir de lait de… rongeur !

Mais comment on fait du lait – puis du fromage – sans lactose ? Et surtout, comment on trait un rongeur ? Jonis nous entraine dans son labo, entre bacs de culture et éprouvettes.

Des vaches néozélandaises aux rats de labo

Etudiant en technologie alimentaire à l’Ecole polytechnique de Zurich, Jonis a choisi un domaine de recherche plutôt inhabituel. Le scientifique nous raconte comment il en est venu à créer son “Milchrattkäse“ – ou “fromage au lait de rat“ en français.

Tout commence il y a 3 ans alors que Jonis effectue un stage chez un éleveur de bovins en Nouvelle-Zélande. Bien intégré dans sa nouvelle famille, Jonis apprend que la fille de son patron – ironie du sort – ne peut pas consommer de lactose et donc ne peut pas profiter des produits laitiers produits par l’exploitation familiale. C’est le déclic pour Jonis !

De retour en Suisse, le jeune étudiant de 27 ans passe des jours le nez dans ses bouquins à étudier les techniques de “délactosification“ dans l’espoir de produire un lait sans lactose. C’est là que les néophytes en chimie organique rendent les armes et que les scientifiques nous épatent…

Des gènes en moins, des fromages en plus

Saviez-vous que c’est le gène LCT qui est responsable de la production de la protéine de la lactase ? Et saviez-vous que ce gène LCT doit être activé par les facteurs de transcriptions GATA, HNF-1 alpha et Cdx-2 pour s’exprimer – et donc produire de la lactase ? Vous êtes largués ? Ok, on va faire simple (ça nous arrange aussi !)

Connaissant ces données sur le bout des doigts, Jonis a eu une idée simple (ça nous arrange toujours) mais innovante : éradiquer les facteurs de transcriptions pour inhiber le gène LCT. Autrement dit, faire en sorte que le gène LCT ne reçoive plus de signal des messagers GATA et compagnie afin qu’il ne fonctionne plus et ne produise plus de lactase ! Ingénieux non ?!

C’est ainsi que les premiers tests en labo ont pu commencé. Et comme souvent, nos amis les rats font de très bons cobayes.

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Du fromage au lait de rat

Après plusieurs mois d’expérimentation, Jonis arrive enfin au résultat souhaité : une de ces rattes de labo produit un lait ne contenant plus aucune trace de lactose. Jackpot !

« Je savais qu’il était possible d’y arriver car, en théorie, la chimie organique montre que produire du lait sans lactose est possible. Mais arriver à un tel résultat dans la pratique, c’est quelque chose qui, même pour un scientifique, revêt toujours quelque chose de magique. »

On aurait peut-être pas utilisé le mot “magique“ pour du lait de rat sans lactose – désolé Jonis – mais force est de constater qu’il s’agit là d’une innovation assez surprenante.

A partir de ce lait particulier développé par Jonis et grâce à l’expertise de son ami Stephan Küng – laitier-fromager dans les environs de Zurich – naît le premier fromage au lait de rat sans lactose ! Reste à savoir si les consommateur-rice-s sont prêt-e-s à manger du rat ?!

Et comme la science ne s’arrête jamais et n’a pas finit de nous étonner, Jonis nous confie la deuxième étape de son projet. « Maintenant qu’on sait que les rats sont des mammifères potentiellement utilisables à grande échelle pour la production de lait sans lactose, l’idée est de répéter l’expérience chez plusieurs mammifères afin de définir quel candidat est le plus optimal pour la production de lait délactosifié. »

Et Jonis, en est convaincu : « Un jour, on fera du fromage à partir de lait de poisson. »

Merci Jonis et bonne journée à tou-t-es !

Damien Gaillet

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