Swissmetro, une utopie qui pourrait devenir réalité

• 22 juin 2016

Genève – Lausanne en 12 minutes

Il y a quelques années, un ingénieur des Chemins de fer fédéraux, en collaboration avec un groupe de professeurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, avait imaginé un nouveau système de transport intitulé Swissmetro.

De conception innovatrice, le système combinait l’utilisation de quatre technologies existantes et maîtrisées : le moteur linéaire, la sustentation magnétique, la production de vide à grande échelle et la construction souterraine par forage en tunnelier.

Circulant à une vitesse moyenne de 360 km/h dans un tunnel de quelque 5 m de diamètre sous vide d’air partiel, les convois d’une capacité de 400 personnes desservaient une dizaine de gares en Suisse, éloignées chacune d’un temps de parcours de 12 minutes.

 

Swissmetro

Il était alors agréable d’imaginer effectuer un voyage entre Lausanne – Genève en 12 minutes seulement (33 minutes aujourd’hui), entre Lausanne – Berne en 12 minutes (1 heure et 6 minutes) ou entre Genève – Zurich en 57 minutes (2 heures et 38 minutes).

Swissmetro, le projet du siècle

En station, les opérations d’embarquement et de débarquement des voyageurs étaient réalisées en 3 minutes, ce qui permettait aux usagers de disposer tout au long de la journée, voire 24 h/24, d’un système de transport à grande capacité, basé sur un horaire cadencé de 15 minutes.

Les véhicules étaient sustentés et guidés magnétiquement et la traction électrique était réalisée par des moteurs linéaires, disposés ponctuellement le long du tracé dans les zones d’accélération et de décélération. La partie fixe et lourde du moteur était attachée à l’infrastructure, soit à l’intrados du tunnel, alors que seule la partie mobile était embarquée dans le véhicule en mouvement qui opérait comme un rotor.

Ainsi le concept envisagé présentait une innovation de rupture par rapport aux modes et aux technologies de transport existants, offrant simultanément le confort de la voiture individuelle, la vitesse de l’avion et la possibilité, à l’instar du transport ferroviaire, de relier les agglomérations cœur à cœur.

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Son bilan économique était aussi avantageux puisqu’il permettait, tout en créant un nouveau service à haute qualité, de libérer les capacités des infrastructures de surface pour l’attribuer au transport régional de voyageurs ou pour effectuer des échanges de marchandises.

De plus son bilan de consommation énergétique mesuré en wh par passager x km était très avantageux et dominait les autres modes de transport.

Et pourtant…

Le projet a été progressivement écarté dans les années 2000, alors que la Confédération investissait massivement sur l’amélioration des infrastructures existantes, en parachevant le programme des autoroutes dessiné et approuvé par les chambres fédérales en 1960 d’une part, en créant les nouvelles transversales alpines et en systématisant l’horaire cadencé des chemins de fer d’autre part.

La saturation progressive et spectaculaire des réseaux de transport régionaux et nationaux existants pose aujourd’hui de façon accrue la nécessité d’imaginer comment maîtriser les flux de transports et continuer à offrir une mobilité diversifiée et de qualité. En effet, la force d’une économie moderne dépend en grande partie de la flexibilité de ses facteurs de production, travail et capital, et ces facteurs sont directement conditionnés par la capacité à se mouvoir, à se localiser de façon optimale, sans délais disproportionnés par rapport aux besoins de consommation et de production.

Un système de transport innovateur s’impose, qui soit à la fois respectueux de l’environnement, économe en ressources énergétiques et qui desserve de façon performante non seulement les grandes agglomérations, mais présente aussi des avantages de mobilité pour les régions périphériques.

BAHN, VERKEHR, MODELL

Une des principales difficultés à réaliser Swissmetro a été relevée à de nombreuses reprises par les milieux économiques et institutionnels : sa taille, qui représente deux fois 600 à 700 km de tunnels et son coût, estimé à l’époque  de sa conception à quelque 35 mias CHF. 

En effet, par analogie avec le TGV français, la mise en œuvre d’un nouveau système de transport, incompatible au premier chef du point de vue opérationnel avec les technologies existantes, exige une longueur critique et un temps de développement qui soit suffisant jusqu’à ce que ses effets induits soient sensibles. Or les projets à long délai de récupération du capital investi sont souvent écartés au profit de projets à retours rapides, mais moins significatifs sur les effets plus fondamentaux de redistribution  à long terme.

Par ailleurs, un investissement de cette taille n’est pas à la portée d’un seul investisseur, même institutionnel. Il doit être porté, dimensionné et évalué de façon systémique, en prenant en compte l’ensemble des avantages et des inconvénients qu’il est susceptible d’induire sur la collectivité et ses composants publics et privés.

Adopter une vision à long terme pour la Suisse

Si l’on accepte de prendre en compte ces deux dimensions et que l’on construit une stratégie d’investissement globale à moyen et long termes, il apparaît qu’une technologie telle que Swissmetro peut être repensée dans une perspective plus intégrative basée sur un partenariat public-privé.

Une réalisation par étapes, partant de la réalisation de tronçons prioritaires et à forte demande, par exemple reliant les plateformes aéroportuaires de Bâle-Mulhouse à Zürich-Kloten, respectivement de Genève-Cointrin à Lyon-St-Exupéry, permettrait de tester les effets de redistribution spatiale des déplacements entre modes de transport, générant progressivement des changements d’habitude dans les pratiques de déplacement.

Par étapes, le système prendra alors de la maturité, sera compris comme une véritable alternative, complémentaire aux autres modes de transport existants et non comme un concurrent absorbant les mouvements les plus rentables.

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Les heures de pointe sont de plus en plus fréquentes et s’étalent tout au long de la journée, le trafic pendulaire en subit les conséquences négatives. Le trafic de loisirs représente une part toujours croissante des heures de saturation des réseaux routiers et autoroutiers. Les coûts de congestion ne sont plus du tout pris en compte et internalisés à leur juste valeur.

Il y a quelques décennies le problème se posait en termes différents, car d’une part la Confédération avait lancé à juste titre un vaste programme de développement des infrastructures ferroviaires qui absorbait une proportion importante des ressources susceptibles d’être dévolues au développement d’infrastructures. D’autre part, les coûts externes, plus modestes qu’aujourd’hui, étaient considérés comme internalisés par les usagers et n’avaient par conséquent aucune raison d’être pris en compte dans le bilan des avantages dégagés par une nouvelle technologie.

Ce contexte a changé fondamentalement aujourd’hui, ce qui permet d’envisager une approche nouvelle du bilan économique et social généré à l’échelle nationale et internationale par la réalisation d’un système de transport de type Swissmetro. Il s’agira donc d’entreprendre l’étude systémique d’un nouveau mode de transport dont les principaux composants technologiques sont aujourd’hui maitrisés. Conçu il y a quelques décennies, les auteurs et promoteurs du projet Swissmetro n’ont pu convaincre à l’époque les autorités de développer une vision à long terme du système multimodal de transport et n’ont pas réussi à mettre suffisamment en évidence les effets re-distributifs d’un tel système sur l’ensemble des composants de la vie économique.

Ce projet doit être désormais conçu dans ses perspectives multidimensionnelles et développé en partenariat public-privé. Sa rentabilité doit être mesurée et valorisée en intégrant les économies générées par la décongestion potentielle des infrastructures de transport de surface, par la mise en complémentarité d’infrastructures aujourd’hui exploitées indépendamment les unes des autres à l’instar des plateformes ou hubs aéroportuaires, ainsi que par les faibles consommations additionnelles de ressources énergétiques nécessaires à l’exploitation du système.

Plusieurs environnements économiques peuvent a priori se prêter à la réalisation d’un tel système. De nombreuses études de faisabilité ont vu le jour dans le Nord de l’Europe, dans les Emirats, en Asie, sur le continent Nord-américain. Cependant la Suisse reste un terrain très attractif et compatible. Son implantation démographique, la structure de ses agglomérations, la géologie, ses ressources économiques et financières, son industrie et son inventivité sont des atouts qui présentent un avantage comparatif certain par rapport aux exemples ci-dessus.

Il est temps de se remettre au travail !

Francis-Luc Perret

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