Salut Françoise
En 1992, Françoise Piron, 30 ans, est une jeune ingénieure en génie civil et se plaît sur les chantiers malgré le manque drastique de femmes dans ce domaine. C’est lorsqu’elle perd son poste au retour de son congé-maternité (non-payé à l’époque!) qu’elle prend conscience de la précarité du statut de la femme dans le monde du travail.
Elle devient alors féministe et s’engage à promouvoir les talents de ces dames dans les milieux scientifiques et techniques de l’économie privée. Aujourd’hui, son action se poursuit à travers l’Association Pacte (des Paroles aux Actes) qu’elle dirige. Son but: que les femmes soient non seulement aussi formées et payées que les hommes, mais qu’elles puissent accéder aux postes à responsabilité.
Parcours d’une battante qui ne se contente pas de l’acquis et fait avancer la Suisse et les Suissesses.
«Suis-je vraiment une fille?»
Enfant, la jeune Françoise – née d’un métissage entre un père belge et une mère iranienne – ne pense pas être une vraie fille.
«En primaire, les activités pratiques réservées aux garçons m’intéressaient bien plus, elles étaient plus stimulantes. Pourquoi donc les filles devaient faire de la couture et du tricot alors que les garçons eux construisaient des planeurs?»
A l’adolescence, elle s’éprend d’algèbre et de géométrie, voulant percer les mystères des constructions qui l’entourent. «Quand je voyais un pont ou un pylône, je cherchais immédiatement à savoir comment ils tenaient, comment cela fonctionnait», se souvient-elle. En parallèle, la jeune femme, élevée dans une culture aux senteurs tant orientales qu’occidentales, développe un amour pour les mots. Le français, le farsi résonnent en elle. Elle aime les poèmes, le théâtre et la littérature. Mais de ses facettes scientifiques et littéraires, elle choisira la première pour «apprendre un métier». Elle s’inscrit ainsi en 1981 à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en génie civil.
De l’EPFL à la promotion des femmes
«J’étais la seule fille, j’avais l’impression de faire l’armée. J’étais plongée dans un univers de maths pures, très abstrait, dans un environnement plutôt froid», dit-elle en évoquant sa première année sur les bancs de l’EPFL. Toutefois, elle s’accroche et obtient son diplôme d’ingénieurE en génie civil en janvier 1987.
Elle intègre ensuite un bureau de géotechnique où elle se découvre une fibre écologique grâce à l’étude des sols. «Ce qui était plutôt avant-gardiste pour l’époque!» A 29 ans, elle tombe enceinte et au retour de son congé-maternité (non-payé car à l’époque la grossesse était associée à une maladie!), on la met à la porte pour des raisons économiques.
Choquée par cette expérience, elle décide dès lors de défendre le statut des femmes ingénieures. Elles rencontre d’autres professionnelles de la branche, aussi écartées après être devenues mères, et initie avec elle l’Association romande des femmes ingénieures.
A la tête du Bureau de l’égalité de l’EPFL
Remarquée dans son engagement pour une meilleure reconnaissance des femmes dans les métiers techniques et de leur droit à un congé maternité payé (finalement accepté par le peuple en 2005 seulement), elle se voit proposer un nouveau challenge.
En 1994, elle fonde le premier bureau de l’Egalité de l’EPFL. Sous la houlette du président Jean-Claude Badoux, Françoise Piron a pour mission d’amener plus de femmes professeures à l’EPFL et donc pour ce faire plus d’étudiantes en première année.
A travers des campagnes de promotion pour les métiers techniques dans les écoles, elle expose une image attractive de la femme ingénieure. Entre temps, la première loi sur l’égalité est adoptée en 1996. Avec un cran d’avance, elle devient aussi répondante pour les questions de harcèlement sexuel et psychologique au sein de l’Ecole Polytechnique.
L’Association Pacte: Mesdames, osez l’ambition!
En 2002, elle quitte l’EPFL pour revenir dans le privé, où «il manquait alors d’actions concrètes pour les femmes cadres». Elle reprend le mouvement Pacte lancé en 1997 par la conseillère aux Etats vaudoise d’alors, Christiane Langenberger. Et ce qu’elle imaginait être une activité accessoire, s’est rapidement imposée comme sa nouvelle mission à plein temps.
En parallèle à sa vie de mère de trois enfants, elle se démène pour sensibiliser les entreprises à l’importance du potentiel féminin. Et en quatorze ans à la tête de l’association qui emploie aujourd’hui cinq personnes, elle a vu les enjeux de société évoluer. «Aujourd’hui, les hommes managers sont plus ouverts à la question de l’égalité et les femmes de mieux en mieux formées. Mais il faut à présent que les jeunes femmes se projettent dans des postes à responsabilité, qu’elles cultivent cette ambition», appuie Françoise Piron. «50% des diplômés universitaires sont des femmes, alors que seuls 4% d’entre elles deviennent des cadres supérieures», martèle-t-elle.
Selon elle, le challenge actuel réside en une sensibilisation culturelle. «Il faut montrer que des nouveaux modèles de fonctionnement entre famille et carrière existent. Cette prise de conscience amènera à la femme plus de liberté dans ses choix de vie.» Pour ce faire, Pacte organise des Café Emploi, des consultations individuelles et des formations dans le cadre de la relève féminine des entreprises. Avec toujours ce même but: booster l’entrepreneuriat féminin.
Et la Suisse dans tout ça?
Installée à Lausanne depuis son enfance, Françoise Piron se réjouit du chemin parcouru, sans toutefois se reposer sur ses acquis.
«Pour moi, la Suisse manque de vision à long terme. On réduit le discours à la question de l’égalité salariale. Or il faut se demander quelle Suisse, quelles entreprises et quels modèles familiaux, nous voulons dans vingt ans sur le plan de l’égalité.»
Elle en appelle aux politiques pour que la fiscalité évolue en faveur du deuxième salaire, «trop souvent considéré comme un appoint». «Plutôt que des mesures disparates, j’aimerais une vision qui permettent aux hommes et aux femmes de se projeter dans tous les modèles possibles.»
Sur le plan culturel, Françoise Piron – Belge, Iranienne mais pas encore Suisse – ne comprend pas les barrières actuelles érigées contre les étrangers. Elle attend d’ailleurs son passeport à croix blanche tout prochainement. «A l’EPFL, plus de 80% des post-doctorants sont des étrangers. L’économie et l’innovation suisses doivent beaucoup à ce métissage», conclut-elle.
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