Un Tessinois pas comme les autres: avec la Lombardie dans le coeur

• 23 novembre 2014

Depuis quelques mois, le courant identitaire lombard ou insubrique (L’Insubrie est la région des lacs de Lugano, Majeur et de Côme (I) à cheval entre le Tessin et la Lombardie) prend lentement mais sûrement pied dans le canton du sud des Alpes.  L’Association italienne « TerraInsubre » a désormais une antenne bien implantée dans le Sopraceneri (nord du Tessin). Pour en savoir plus sur ce mouvement qui se démarque du phénomène anti-frontaliers et par extension anti-italiens convoyé par la droite populiste et qui revendique une unique identité lombarde, nous avons rencontré son responsable, Luciano Milan Danti, 33 ans, de Ronco sur Ascona.

Energique, enthousiaste, combattif, Luciano 33 ans est technicien communal dans son village, superbe terrasse qui surplombe le lac Majeur et la riante localité touristique et mondaine d’Ascona. Né au Tessin d’un papa tessinois et d’une maman serbe, Luciano Milan (son deuxième prénom) nous raconte son parcours: « un épisode particulier qui remonte à plusieurs année déjà a joué le rôle de détonateur et a déterminé mon approche progressif à l’identité lombarde » explique le responsable de « TerraInsubre »: « durant mon école de recrues, effectuée à Saint-Gall, avec d’autres Tessinois nous avons entonné l’hymne suisse, je ne me souviens plus à quel propos. Nos camarades suisses allemands nous ont alors ri au nez et c’est à ce moment que j’ai eu pour la première fois la sensation profonde de me sentir beaucoup plus proche, de par la langue, la mentalité, la culture, à nos voisins lombards qu’à mes compatriotes du reste de la Suisse. »

gemmaIl a cependant fallu plusieurs années à Luciano pour concrétiser son approche au courant insubrique.  Après un apprentissage de boulanger-pâtissier puis le Lycée artistique à Lugano, le jeune homme a opté  pour un emploi de technicien dans sa commune: « ma formation comme lombard, si je peux m’exprimer ainsi, a duré longtemps. J’ai d’abord approfondi l’histoire de l’origine de la Lombardie, la réalité territoriale de l’Insubrie, les racines de son dialecte parlé des deux côtés de la frontière. Au début, tout cela était très vague » admet-il, « puis il y a trois ans environ les choses se sont précipitées. La façon dont la droite tessinoise a instrumentalisé le phénomène des frontaliers italiens, rejettant sur eux la faute de toutes les maux économiques et sociaux de notre canton, m’a enragé. J’ai alors décidé de mettre en pratique mon engagement et, dans un premier temps, je me suis approché du mouvement indépendantiste de Saronno (province de Côme) « Doma nunch » (en dialecte lombard « nous autres seulement »), mais je me suis rapidement rendu compte de sa dérive vers les idées extrêmistes. Très peu pour moi. »

« Un Lombard de la Confédération »

Luciano Milan n’a pas pour autant jeté l’éponge. Il a donc noué des contacts avec l’association culturelle « TerraInsubre » basée à Varèse (I) fondée en 1996 et qui compte désormais neuf sièges dont celui tessinois dont Luciano est responsable. « Au départ l’association se réclamait de la Lega lombarde dont elle s’est entretemps détachée » nous dit Luciano. « Il y a quelques mois » poursuit le Tessinois qui se définit comme étant « un lombard de la Confédération », « TerraInsubre » m’a chargé du  recrutement de sympathisants au Tessin.  »

L’employé communal de Ronco sur Ascona s’est donné avec enthousiasme à cette tâche qu’il avoue ne pas être facile: « le recrutement n’est pas aisé, il faut veiller à ne pas heurter la sensibilité des gens dans un canton où la désinformation est grande. Beaucoup de Tessinois fiers de l’être depuis des générations oublient vite que leurs racines sont indéniablement lombardes. « Pour l’heure » explique Luciano Danti, « notre association compte quelque 300 adhérents au Tessin, 2000 environ en Italie.  » Un autre regroupement prône l’orgueil régional dans le canton: « Identità ticinese » (« Identité tessinoise »)  voulue et gérée par Luciano vient de démarrer. Pour l’heure le mouvement a une centaine de sympathisants mais la campagne d’adhésion officielle ne débutera que l’année prochaine.

Et que disent les indépendantistes lombards d’Italie de leurs « cousins » tessinois? « Les liens sont étroits, nous organisons beaucoup d’évènements et de manifestations en comun et nous venons de lancer une émission de radio intitulée Pensieri d’oltre confine » (Pensées d’outre-confins). Nous collaborons aussi dans le cadre de conférences organisées à Locarno avec l’historienne italienne Ada Cattaneo, auteur de nombreux ouvrages sur la Lombardie, son origine et ses légendes ajoute Luciano qui précise: « les associations insubriques italiennes admirent beaucoup le système fédéraliste suisse mais, pour ce qui est du Tessin, elles ont de la peine à comprendre cet acharnement systématique contre les frontaliers. De ce côté de la frontière, l’Italie et sa situation économique branlante représentent une menace pour les Tessinois qui, au bout du compte, ne se sentent ni chair ni poisson. Ils devraient enfin se rendre compte que le conflit qui oppose les travailleurs locaux aux frontaliers est en fin de compte orchestré par ces employeurs tessinois qui pratiquent sans vergogne le dumping salarial! »

L’Insubrie

L’Insubrie est une communauté naturelle soit un territoire homogène avec une histoire, une langue, une culture et des traditions propres. L’idiome traditionnel local est le dialecte lombard – qui perd toujours plus de terrain – et qui avait été reconnu comme étant une « langue minoritaire européenne » par le Conseil de l’Europe en 1981. L’UNESCO l’a recensée comme une « langue digne d’être préservée ».

L’Insubrie qui comprend le Tessin du côté suisse, la Valtelline, le Val Chiavenna, le Val d’Ossola, les provinces de Côme, Verbania, Lecco, Milan, Novare, Lodi et Pavie du côté italien, est unifiée depuis la fondation de Milan, sa capitale, entre les 4e et 5e siècles lorsque les Celtes Insubriques ont envahi la Vallée du Pô.

Politiquement la région est ensuite devenue le Duché de Milan (1395-1796) puis la République cisalpine (1797) et a enfin été morcelée en Lombardie et Piémont  après l’unification de l’Italie voulue par Giuseppe Garibaldi. Le concept d’Insubrie a été relancé dès les années ’90 avec la fondation de la Communauté transfrontalière Regio Insubrica en 1995 et, en 1998, l’ouverture de l’Université de l’Insubrie à Milan.

Gemma d’Urso

Journaliste Tessininfo, Lugano

www.tessininfo.ch

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